Dans son domaine, l’écrivain est un véritable démiurge. Parmi les innombrables idées qui lui viennent à l’esprit, il en choisit certaines et leur donne une âme et un corps. Pour ce faire, il tire de sa propre substance, à savoir ses expériences passées, souvenirs, sentiments, émotions, pensées, obsessions, préoccupations, etc., la matière première qui servira à habiller ces idées avant de les coucher sur le papier. Il élabore ainsi une histoire, des événements, des lieux et des personnages, dont il est le principe créateur immédiat. Par conséquent, ses créatures sont faites à son image. On peut d’ailleurs les considérer comme des aspects plus ou moins révélateurs de sa personnalité. Leur être est son être, tout comme l’œuvre d’art n’a aucune consistance sans l’artisan. Il est chacune de ses créatures et aucune d’elles à la fois, voilà le paradoxe de l’écrivain ma foi !
Les personnages littéraires sont pour leur auteur des êtres fascinants. Pour leur donner vie, l’écrivain doit littéralement entrer dans leur peau. Il doit, l’espace d’un moment, s’oublier lui-même pour créer un espace vide, la place nécessaire pour que son personnage puisse apparaître à la vie. C’est en se projetant dans son personnage qu’il peut imaginer ses péripéties, ses réactions, ses questionnements et au final son évolution dans le temps et l’espace. Mais ce faisant, l’écrivain est-il toujours un écrivain, ou bien est-il devenu entièrement son personnage, ne serait-ce qu’un court instant ? Où s’arrête donc la fiction et où commence la réalité ?
Le moi est à l’image du Soi. Le moi est un personnage de l’histoire imaginée intégralement par le Soi. Plus encore, le moi est le Soi qui s’imagine être autre que soi. C’est peut-être en cela que réside le mystère de notre existence.
L'aube naissante 