LE PÈLERIN ET LES SEPT PRINCESSES – LA QUÊTE DES PIERRES DE LUNE (CHP10)

Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune

Chapitre 10 – Le jugement

Je fus abasourdi par la conclusion pour le moins douteuse et étriquée de l’homme en gris. Je lançai un regard de dépit à la reine qui était justement en train de m’observer. Je cherchai désespérément dans son regard une lueur d’espoir, mais son visage resta aussi froid que le marbre. Elle fit ensuite un geste de la tête à une femme âgée qui se tenait debout à sa droite. Une coiffe en forme d’oiseau, ou peut-être était-ce véritablement un oiseau, était délicatement posé sur ses cheveux hirsutes. Le teint pâle et les yeux d’un vert profond, la taille fine, elle portait une robe chamarrée et des bottines de cuir marron. Elle me fit une impression assez étrange, d’autant plus qu’elle s’était parée de divers colliers de pierres fines et autres bracelets colorés. Le tout me paraissait manquer un peu de cohérence et fit surtout beaucoup de bruit lorsqu’elle se déplaça vers moi pour m’interroger.
Elle décrivit plusieurs cercles autour de moi, les mains tendues à une dizaine de centimètres de mon corps. À ce moment-là, je ne savais pas du tout ce qu’elle faisait. Après quelques minutes de ce petit manège, elle s’arrêta net pour me dévisager et m’examiner de la tête aux pieds. Puis, elle me tourna le dos sans m’adresser la parole pour rejoindre sa place auprès de la reine. « Votre majesté, je ressens clairement de mauvaises vibrations qui émanent de cet individu ! Il ne dit pas qui il est vraiment, je sens qu’il nous cache la vérité. Il est certainement possédé par un mauvais esprit de la nature, ce qui explique pourquoi il tient des propos incohérents, conclut sèchement la femme qui arborait un volatil comme chapeau ! ».
J’étais une nouvelle fois abattu par la sottise de cette conclusion qui aurait pu me faire rire si ma vie n’avait pas été en jeu. La reine de glace, sur son trône doré, ne laissait rien transparaître quant à ses intentions à mon égard. Un silence long et pesant régnait dans la salle d’audience. « Monsieur le juge-inquisiteur.
– À votre service majesté ! répondit l’homme qui m’avait déclaré espion le matin dans la prison.
– Maintenez-vous votre accusation d’espionnage ?
– Certes, c’est une hypothèse probable, votre majesté. S’adressant à la cour, la souveraine poursuivit ainsi.
– La sécurité de la reine et la pérennité de notre royaume sont des priorités absolues. Le prisonnier n’a pas su nous convaincre et les arguments de nos conseillers les plus éminents non plus. L’affaire est donc entendue. Dans le doute, je déclare le prisonnier coupable d’espionnage et requiert contre lui la peine capitale. L’exécution aura lieu demain au lever du soleil. Que ceci soit écrit, puis accompli selon notre bonne volonté, conclut la reine. ».
J’étais choqué par ce verdict inattendu ! Les bras m’en tombaient. Comment la reine pouvait-elle me condamner à mort alors que je n’avais commis aucun crime ? Aucune preuve, aucune justification censée ! Où était la justice dans cette mascarade de procès ? Une voix s’éleva alors dans le brouhaha qu’avait suscité la décision royale. C’était une femme d’âge mûr au teint pâle et aux cheveux noirs de jais. « Ma reine, je vous en prie, écoutez-moi ! Le bruit confus qui traversait la foule s’estompa presque immédiatement.
– Qu’y a-t-il très chère sœur ?
– Vos conseillers se trompent. Le prisonnier n’est pas un espion. Sa façon de parler, ses vêtements, son ignorance manifeste… Tout montre que c’est un étranger qui se trouve loin de chez lui. Son visage est celui d’un homme sincère, ma sœur, montrez-lui votre grandeur en faisant preuve de clémence à son égard !
– Tes arguments sont raisonnables et tes intentions louables, j’en conviens fort bien. Cependant, as-tu pensé à moi ? Devrais-je prendre le risque de relâcher un espion qui pourrait m’assassiner ? Que deviendrait le royaume sans sa souveraine ?
– Je me porte garante pour lui ma reine et cela sur ma vie s’il le faut !
– Il suffit ! Je t’ai laissée t’exprimer, sois donc reconnaissante pour cela. Il n’appartient qu’à moi seule de décider. Je maintiens donc mon jugement. Je ne veux plus entendre parler de cette affaire. Faites disparaître le prisonnier de ma vue à présent ! ».
On remit la toile de jute sur ma tête tandis que j’étais sous le choc de cette décision. Les yeux dans le vague, l’esprit suspendu entre deux eaux. Les soldats me ramenèrent dans ma funeste prison sans que je puisse manifester la moindre opposition.


Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.