Chapitre 9 – La reine
J’étais perdu dans mes pensées, assis à même le sol dans cette geôle où je croupissais depuis mon arrivée à Kafara, quand les deux soldats revinrent me chercher. Pour je ne sais quelle raison, l’un d’eux lia fortement mes poignées avec de la corde et me couvrit la tête d’une toile de jute si épaisse que je n’y voyais plus rien. Pourquoi autant de précautions, je n’étais pas un criminel tout de même ! Ils me poussèrent ensuite à l’extérieur sans ménagement. Au dehors, je sentais la chaleur des rayons du soleil sur ma peau. Nous marchions dans ce qui me semblait être une ruelle qui déboucha bientôt sur une artère plus importante. D’après moi, c’était certainement la voie principale qui menait au palais, car il y avait beaucoup de bruit, d’odeurs et de gens autour de nous. J’entendais des bribes de conversations, un marchand négociant avec son client, une mère faisant des remontrances à son enfant et même quelques aboiements de chiens un peu plus loin. J’imaginais aisément un flot tumultueux d’hommes et de femmes qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes. Après de longues minutes à marche forcée, nous arrivâmes devant ce qui me parut être l’entrée du palais royal. Une voix rauque nous stoppa net : « Halte ! Que venez-vous faire ici ?
– Le juge-inquisiteur nous a ordonné de présenter cet espion à l’audience royale, répondit l’un des deux gardiens de prisons qui m’escortaient.
– Je vois… Maintenant montrez-moi vos laissez-passer ! poursuivit la voix sur un ton toujours aussi rude. ».
Après quelques instants, j’entendis le son caractéristique d’une clé qui déverrouillait un verrou, puis le grincement d’une lourde porte que l’on ouvrait. Un coup de pied dans le bas du dos m’indiqua qu’il fallait que j’avance droit devant moi sans plus tarder. Nous passâmes par une cour pavée avant de pénétrer dans un bâtiment, que je supposai être le palais royal, et nous empruntâmes un escalier interminable. Enfin arrivés sur le palier, une voix aiguë nous annonça et nous entrâmes après ce drôle de périple dans ce qui était vraisemblablement la salle d’audience royale. L’un des deux gardes enleva brutalement la toile de jute qui couvrait ma tête depuis tout ce temps. La clarté soudaine m’obligea à plisser les yeux quelques instants.
Je découvris ensuite une imposante salle rectangulaire éclairée par de grandes fenêtres qui perçaient des murs épais en pierres blanches et lisses. De somptueuses fresques colorées, représentants des animaux et des végétaux divers et variés, étaient peintes sur le plafond en stuc blanc. Des hommes en armes immobiles et aux visages impassibles étaient disposés en rangs d’oignons le long des murs latéraux. Devant moi, au fond de la salle se trouvait une estrade en bois sombre sur laquelle reposait un trône étincelant, couvert d’or et de pierres précieuses. À ses côtés se tenaient debout plusieurs personnes qui discutaient entre elles sans même me remarquer. Au bout d’un moment, des trompettes sonnèrent l’entrée fracassante de la reine qui émergea d’une petite porte dissimulée dans le mur derrière le trône. Tout le monde se tut et la souveraine s’installa sur le siège royal. Elle semblait très vieille, une chevelure couleur de cendre et son visage, traversé par de profondes rides, ne laissait transparaître aucune émotion. Son regard fixé sur moi me transperçait de part en part. Elle semblait me jauger, comme l’indiquait le froncement de ses sourcils broussailleux qui détonnaient avec la taille ridicule de ses petits yeux noirs emplis de malice.
Elle se tourna vers l’homme qui se tenait debout à sa gauche et lui fit un signe de la tête. De petite taille, mince et le visage émacié, il portait un pantalon et une longue redingote grisâtres ainsi que des mocassins noirs. « Faites avancer le prisonnier ! ordonna-t-il aux gardes qui m’escortaient. Ils s’exécutèrent sur-le-champ. Quand je fus arrivé à quelques pas du trône, il s’adressa à moi directement. Stop ! Déclinez votre identité.
– Je ne suis qu’un voyageur perdu, répondis-je.
– Le juge-inquisiteur qui a examiné votre cas affirme le contraire. Il dit que vous êtes un espion. Pour qui travaillez-vous donc ?
– Détrompez-vous, je ne suis pas un espion. Je suis venu à Kafara pour trouver de l’aide, car je ne sais pas comment rentrer chez moi !
– Pour quelle puissance travaillez-vous ? répéta-t-il avec froideur.
– Je ne travaille pour personne ! J’ai été victime d’un accident dans une forêt située à côté de mon village natal. Je me suis évanoui, puis éveillé dans une grotte au beau milieu du désert. J’ai ensuite croisé des gens qui m’ont révélé l’existence de Kafara. C’est la stricte vérité, je vous le jure !
– Ou bien il divague, ou bien il ment. Soit il est fou, soit c’est un espion. C’est une évidence votre majesté, dit-il en se tournant vers la reine. ».
Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.