Chapitre 8 – Kafara
Kafara était entourée d’immenses murailles couleur sable et illuminées par une multitude de flambeaux. Une porte monumentale en bois et en fer forgé, surmontée d’horribles gargouilles en pierres taillées, marquait l’entrée principale de la cité. Une troupe d’hommes en armes en protégeait l’accès. La peur envahit tout à coup mon cœur à la vue de ce spectacle effrayant. Je ne pouvais m’empêcher de repenser aux paroles du vieil ermite et du jeune garçon. Qu’allais-je trouver ici ? Mon malheur ou mon salut ? Était-ce d’ailleurs une bonne idée de vouloir pénétrer dans cette cité ? Mon cœur me disait de fuir très loin alors que ma raison me dictait le contraire. Avais-je d’autres alternatives ? Je répondais non sans hésiter ! Alors prenant mon courage à deux mains, je m’approchai timidement des gardes qui semblaient se disputer avec virulence.
Quand je fus suffisamment près, l’un d’entre eux m’aperçut tandis que je sortais de la pénombre et m’apostropha : « Halte ! Qui va là ?
– Bonsoir messieurs, je suis un voyageur perdu qui demande refuge.
– Approche-toi l’étranger ! rétorqua-t-il sèchement. Je m’exécutai non sans hésitation. Alors, ça vient ! renchérit-il la main sur le pommeau de son épée.
– Quoi ? répondis-je interloqué.
– Où sont tes papiers ?
– Excusez-moi, de quels papiers parlez-vous ?
– De ton laissez-passer ! Un parchemin délivré par l’administration et qui t’autorise à circuler librement dans le royaume.
– Désolé, je n’ai pas de papier sur moi. Mais j’ai besoin de votre aide !
– Je crois qu’on à tirer le gros lot les gars ! dit-il tout en s’avançant vers moi un sourire aux lèvres. ».
Le garde sortit alors de sa longue cape un gourdin en bois et m’asséna un coup puissant à l’estomac. Je ressentis une vive douleur qui coupa net ma respiration et me fit perdre l’équilibre. Titubant, je tentai de fuir, mais mon corps était devenu subitement si lourd que je n’arrivais plus à faire le moindre pas. En me voyant gesticuler comme un vermisseau, l’homme se mit à rire aux éclats et me porta un nouveau coup, d’une violence extrême au niveau des genoux. J’entendis un craquement sourd et inquiétant. Je m’écroulai sur le sol aussitôt, me noyant dans ma souffrance, sans perdre conscience pour autant. Deux autres gardes me traînèrent ensuite par les pieds dans la poussière jusqu’à une petite porte dissimulée sur le côté. Ce fut de cette manière que je pénétrai dans la cité de Kafara, d’une façon que je n’avais pas du tout imaginée…
Après un long moment, les deux soldats me jetèrent dans une geôle mettant ainsi fin à la première partie de mon calvaire. « Tu cherchais un refuge l’étranger, eh bien le voilà, bienvenue dans ta nouvelle demeure ! », déclara avec emphase le plus petit des deux hommes, qui était manifestement très fier de sa boutade. Je passais le reste de la nuit prostré, allongé sur de la paille à même le sol, comme un animal blessé, en attendant que la douleur veuille bien s’apaiser. Cette nuit-là me parut durer une éternité, d’autant plus que je n’éprouvais aucune fatigue et que je n’avais toujours pas le droit à un sommeil réparateur. C’était tout de même étrange ce qui m’arrivait. Je n’avais ni faim ni soif, mais je ressentais la douleur… J’eus tout le loisir de méditer ces quelques réflexions et surtout les avertissements que j’avais reçus, et que j’avais, je dois l’avouer, un peu trop vite écartés. En définitive, je parvins dans un moment rare de lucidité à la conclusion suivante : la nature humaine était à la fois merveilleuse et terrifiante, résiliente et si fragile en même temps !
Les deux soldats vinrent me chercher le lendemain matin. Ils furent surpris quand ils me virent debout, en pleine forme, comme s’il ne s’était rien passé la veille. J’étais moi-même le premier étonné par cette capacité de récupération prodigieuse. Ils étaient accompagnés d’un homme qui portait des habits d’apparat. C’était un juge chargé d’étudier mon cas. « D’où viens-tu et que veux-tu l’étranger ? dit-il sans prendre la peine de me saluer.
– Je viens d’un pays lointain et je suis venu à Kafara pour y chercher de l’aide.
– Dans quel but ?
– Je veux simplement rentrer chez moi !
– Je vois… Le juge se tourna vers les soldats. C’est un drôle d’espion que nous avons là ! Présentez-le à l’audience royale en fin de matinée. La reine jugera de son sort, conclut le magistrat d’un air dédaigneux. ».
Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.