LE PÈLERIN ET LES SEPT PRINCESSES – LA QUÊTE DES PIERRES DE LUNE (CHP7)

Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune

Chapitre 7 – L’azalaï

J’éprouvais de la peine pour ce vieil ermite à la fois lucide et désenchanté, paisible et tourmenté. Il me faisait penser à un réfugié qui avait fui la guerre dans son pays, tiraillé entre une patrie lointaine devenue inaccessible et une terre d’adoption dans lequel il ne pouvait s’épanouir. Comme un ascète, il avait fait le choix de se retirer du monde, de vivre seul sur sa colline de sable au beau milieu du désert. Pour vivre heureux, il s’était coupé des autres et retranché dans une prison dorée. Pour ma part, je ne pouvais pas me satisfaire de cette réponse. Je pris donc mon courage à deux mains et je fonçai tête baissée en direction de l’Ouest dans le but de rejoindre cette ville sulfureuse qui avait été répudiée par l’ermite autrefois.
Après plusieurs kilomètres à crapahuter dans les dunes sans rencontrer personne, le sable du désert céda brutalement la place à une grande étendue grisâtre qui s’étirait jusqu’à l’horizon. Au fur et mesure que je me rapprochais, je distinguais nettement des hommes enturbannés de la tête aux pieds. Ils donnaient de violents coups de pioches dans la terre sous un soleil ardent. Je les observai quelques minutes un peu en retrait pour ne pas attirer leur attention. Certains extrayaient de lourdes plaques blanchâtres tandis que d’autres les disposaient ensuite sur le dos d’une bonne vingtaine de chameaux. Lorsque toutes les bêtes furent chargées, les hommes se rassemblèrent et une longue caravane se forma autour des chameaux disposés en file indienne. Ils se mirent ensuite en route vers l’Ouest avec leur précieuse cargaison. Je les suivis un moment sans me faire repérer. Puis, ayant constaté qu’ils ne représentaient a priori aucun danger, je m’aventurai à leur rencontre.
Bizarrement, ma présence fut à peine remarquée. « Bonjour messieurs, où allez-vous donc avec votre marchandise ? », leur demandai-je sur un ton avenant. Je n’eus en retour aucune réponse, pas même un regard ! Je remontai alors la colonne d’hommes et de bestiaux sans parvenir à capter leur intérêt, sauf un jeune garçon qui sortit du rang. « Eh, salut l’ami ! Que fais-tu par ici ? me dit-il souriant.
– Je suis tombé sur vous par hasard. Je cherche une ville située à l’Ouest, mais je ne connais pas son nom, rétorquai-je content d’avoir enfin pu trouver un interlocuteur bienveillant.
– Tu dois certainement parler de Kafara. C’est là où nous nous rendons.
– Puis-je me joindre à vous ?
– Fais comme bon te semble l’ami.
– Parfait, je te remercie ! ».
Le jeune garçon m’expliqua par la suite qu’ils transportaient l’azalaï, de précieux cristaux de sel pour le compte de la souveraine de Kafara. C’était une denrée rare qui avait fait la richesse de cette cité aux portes du désert. C’était la reine en personne qui avait attribué cette dure besogne à la tribu du jeune garçon, et pour les convaincre de s’acquitter de cette tâche ardue, elle retenait en otage quelques-uns des enfants des membres du clan. Elle s’assurait ainsi de leur loyauté et de leur fidélité. À la fin de chaque semaine, les hommes devaient lui livrer une quantité précise de sel sous peine de représailles terrifiantes. C’était un labeur dur et difficile que d’extraire cet or blanc du désert. C’était d’ailleurs pour cela que personne ne m’avait répondu. Exténués par une fatigue harassante, hébétés par des pressions psychologiques incessantes, la majorité des hommes de la tribu se comportaient comme des morts-vivants, avançant machinalement au pas des chameaux.
J’étais encore une fois peiné par ce que je voyais et entendais. À croire que pour ces pauvres gens, nous étions bel et bien en enfer ! Je me remémorai alors les paroles de l’ermite qui m’avait enjoint de ne pas me rendre à Kafara. Les dangers, dont il m’avait parlés, s’incarnaient cruellement dans la triste vie de ces bédouins. Malheureusement, je n’avais pas le luxe de m’apitoyer plus longtemps sur ce destin injuste. Il fallait que j’atteigne la ville au plus vite pour tenter de découvrir un moyen de rentrer chez moi. Ce fut donc à contre cœur que je les abandonnai à leur funeste sort. Non sans mal, je me résignai à quitter ce jeune garçon aimable qui avait su me sourire dans de telles conditions, pour m’élancer comme un éclair vers Kafara. J’arrivai ainsi aux portes de la cité un peu avant la tombée de la nuit.


Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.