Chapitre 5 – Une prière au ciel
J’étais chagriné par l’histoire de ce pauvre paysan, d’autant plus que je me sentais impuissant. La seule chose que je pouvais faire pour lui en cet instant, c’était de lui prêter une oreille attentive et une épaule compatissante. Assis tous les deux autour du feu qui crépitait, une nuit sans lune avait fini pour nous envelopper, tandis que les flammes dansaient de joie sous un magnifique ciel étoilé. En regardant la voûte céleste avec mon compagnon d’infortune, je repris conscience de la beauté de la nature, dont je m’étais éloigné sans m’en rendre compte il y a déjà plusieurs années. La profondeur extrême du ciel nocturne, le scintillement des étoiles et l’éclat lumineux de la voie lactée me bouleversaient soudainement. Mon cœur aurait voulu embrasser de ses bras cette dame céleste revêtue d’une robe bleu nuit incrustée de diamants et couverte d’un voile de mousseline blanc.
Après un certain temps, je décidai de rompre le silence qui s’était naturellement installé entre nous deux. Je lui demandai de but en blanc : « Quelle est le but de cette méditation que je vous ai vu pratiquer à deux reprises aujourd’hui ?
– C’est une prière que j’adresse au ciel. Je fais ça plusieurs fois par jour, me répondit-il.
– Et que demandez-vous au ciel, osai-je un peu timidement.
– Ah… Je lui demande de faire tomber une pluie secourante et vivifiante, le plus rapidement possible et en très grande quantité. Une pluie faite de grosses gouttes recouvrant toute l’étendue désertique, mais sans conséquences néfastes pour les êtres vivants, que ce soit mes chèvres, les arbres ou les scorpions.
– Je vois, mais en quoi cette pluie vous aidera ? insistai-je.
– Je souhaite que la forêt d’autrefois renaisse de ses cendres. Que la vie ici redevienne foisonnante, à l’image des visions que j’ai parfois dans mes rêves. Je sais que mes ancêtres ont vécu dans cette forêt. Ils l’ont tant aimée… Je le sens dans mes entrailles. Il se tut alors un instant avant de reprendre. Si la terre redevenait fertile, si la végétation repoussait, si les rivières coulaient de nouveau et remplaçaient ce funeste désert, alors je pourrais quitter cette oasis sans peine, voyager sans crainte et peut-être retrouver enfin ma famille…
– Je comprends. ».
Sur ces mots, les larmes emplirent les yeux du pauvre paysan. Pudique, il se retira dans sa maisonnette après m’avoir souhaité une bonne nuit. De mon côté, je repensais à ce qu’il m’avait confié. J’éprouvais de la peine pour cet homme qui était prisonnier d’un espace aussi contraint, confiné dans un endroit aussi restreint. D’ailleurs, moi aussi, je souhaitais quitter cette oasis le plus vite possible pour retrouver ma mère. Elle devait se faire un sang d’encre. Je réconfortais mon âme en lui disant que ma tante veillait sur elle pendant mon absence. Véritable cordon-bleu, elle devait lui mijoter de bons petits plats…
Bizarrement, je n’avais ni faim, ni soif et encore moins sommeil. J’étais tout à fait lucide et la fatigue ne semblait pas avoir de prise sur mon corps. C’était pour moi une sensation à la fois étrange et familière. D’un certain côté, cet état me rappelait l’énergie débordante de mon enfance, quand le soir venu après avoir gambadé dans les bois toute la journée, je bataillais avec mes parents pour ne pas aller me coucher, prétextant que le sommeil était une perte de temps !
Je remarquai que le feu s’était éteint après avoir consumé tout le bois et que le jour se levait déjà sur le désert. J’avais l’impression qu’une heure s’était à peine écoulée depuis que mon pauvre compagnon était allé se coucher. Malgré tout, ses propos avaient produit leurs effets. Contrairement à lui, je ne voulais pas passer le reste de ma vie dans cette oasis à attendre une pluie providentielle. Mon instinct me poussait étrangement à partir vers l’Ouest, là où le soleil se couche. Je jetai un dernier regard sur la masure et je quittai l’oasis sans regret. Je marchai à une allure soutenue sans me retourner. Mes pas étaient légers comme si j’étais porté par le vent. Après quelques minutes, j’arrivai devant d’immenses dunes de sable doré. Leur splendeur s’étalait à perte de vue. C’était un spectacle majestueux qui imposait le silence. Du reste, quels mots pourraient bien rendre un tant soit peu le goût de cette expérience, celle d’un homme seul face au désert ?
Le soleil était à son zénith et toujours pas de nuage à l’horizon. J’avais un pincement au cœur en imaginant mon pauvre ami adresser ses prières au ciel en ce moment. Comment ne pas désespérer dans une telle situation ? C’était une énigme pour moi. Une vipère à cornes des sables attira tout à coup mon regard. Elle ondulait avec grâce laissant derrière elle un mystérieux tracé en forme de S étiré et discontinu. Je la suivis machinalement jusqu’au sommet de la dune. Je découvris alors le spectacle grandiose d’une mer de sable où les poissons avaient fait place aux serpents et autres scorpions. Un îlot de verdure émergeait au loin à la surface de cet océan minéral. Je me dirigeai naturellement dans sa direction.
Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.