Chapitre 4 – Le paysan
Il y avait au centre de la palmeraie une maisonnette reposant sur une base en pierre et dont les murs étaient faits d’une sorte de torchis brun, le tout surmonté d’une toiture en feuilles de palmier tressés. D’un foyer extérieur s’échappait la fumée blanche que j’avais suivie. À quelques pas devant la masure se trouvait un homme agenouillé à même le sol, son fessier reposant sur ses talons, les paumes des mains dressées vers le ciel et le regard dirigé vers la terre. À ses vêtements, on devinait sans peine sa condition de pauvre paysan. Il devait avoir à peine la quarantaine selon moi. Il marmonnait des mots dans sa barbe que je n’entendais pas distinctement et il paraissait complètement absorbé dans sa méditation. Son recueillement était si pur et intense que je n’osais pas l’interrompre et j’attendis patiemment à quelques mètres de là.
Au bout d’un long moment, il finit par se relever. Je sautai immédiatement sur cette occasion pour l’apostropher : « Monsieur, s’il vous plaît, excusez-moi de vous déranger ! lui dis-je d’un ton amical. Il tourna son visage vers moi l’air étonné.
– Par Dieu, d’où sorts-tu donc l’ami ? s’exclama-t-il.
– À vrai dire, c’est une question que je me pose moi-même, rétorquai-je l’air penaud. C’est assez compliqué à expliquer. En fait… Non, disons plutôt que je me suis évanoui dans une forêt et que je me suis ensuite réveillé ici, dans ce désert. J’avais moi-même du mal à croire à mes propres paroles, alors quand je vis un rictus se dessiner sur le visage de mon interlocuteur, j’en déduisis qu’il me prenait pour un insensé.
– Ah, une forêt… répliqua-t-il songeur. On a pas vu de forêt par ici depuis des temps très très anciens ! Déconcerté par sa réflexion, je bredouillai quelques mots.
– Quel est cet endroit ? Est-ce le désert du Sahara ?Sommes-nous loin de la France ?
– Je ne connais pas ces mots ! répliqua-t-il.
– De quels mots parlez-vous donc ?
– Sahara, France. Je ne connais pas ces mots !
– Pourtant vous parlez français !
– Français… Je ne connais pas ce mot. Moi, je parle la langue des mes ancêtres, tout comme toi l’ami ! Je ne comprenais plus rien, ce drôle de bonhomme me semblait tout bonnement fou ! Du coup, je parai au plus pressé.
– Où sommes-nous s’il vous plaît ?
– Dans une oasis au beau milieu du désert.
– Merci, j’avais bien vu, mais dans quel désert, quelle région, quel pays voyons ?
– Ah, je comprends… Tu foules la terre de mes ancêtres ! dit-il tout fièrement.
– Oui, d’accord, répondis-je machinalement, halluciné par une telle conversation. Y-a-t-il d’autres personnes ici ? tentai-je désespérément.
– Non, je suis maintenant le seul homme ici ! Devant cette dernière réponse je baissai les bras de dépit. Et toi l’ami, d’où viens-tu ?
– De toute évidence, de très très loin… répliquai-je découragé.
– Y-a-t-il des palmiers dans ta forêt ? continua-t-il ».
C’était la goutte d’eau qui fit déborder le vase ! Je ne pris même pas la peine de répondre et je m’éloignai de cet énergumène pour aller m’assoir un peu plus loin à l’ombre d’un palmier. Je voulais prendre du recul et me poser pour réfléchir à ma situation qui était loin de s’arranger comme je le voulais. Je restais seul perdu dans mes pensées un long moment.
Le temps passa très vite et lorsque le soleil disparut sous l’horizon, je me résolus à retourner voir le paysan. Je le surpris de nouveau en méditation devant sa maisonnette. Quand sa longue oraison fut terminée, je me rapprochai de lui tout doucement. Me voyant venir, il m’invita à m’installer autour d’un feu. Puis, il fixa les étoiles quelques instants et me dit : « Tu sais l’ami, avant, au temps de mes ancêtres, il y avait une immense forêt ici. Des arbres et des plantes de toutes sortes, des rivières et des animaux à foison. La vie était douce et merveilleuse avant.
– Que s’est-il passé pour qu’un tel endroit se transforme en désert ?
– Je ne sais pas ou plutôt je ne sais plus. Je me suis éveillé un jour ici, seul dans cette oasis. Depuis, ma mémoire me fait grandement défaut. Il y a bien quelques bribes de mon ancienne vie qui affleurent de temps à autre à la surface de ma conscience, mais ce sont des souvenirs incomplets et flous. Pris en eux-mêmes, ils font sens, mais je n’arrive pas à les assembler pour reconstituer une histoire cohérente. C’est comme si je regardais le monde à travers le chat d’une aiguille. Pourtant, je sais que mes souvenirs sont bel et bien réels…
– C’est triste… N’avez-vous pas tenté de partir à la recherche de votre famille ?
– Ce n’est pas l’envie qui me manque. Je sais que j’ai une famille. J’ai vu mes pères et mères, frères et sœurs en songe, même si je ne me souviens plus des traits de leurs visages, je sais qu’ils existent.
– Bien, alors pourquoi ne pas tenter de les retrouver ?
– Plus facile à dire qu’à faire… Et partir en suivant quelle orientation l’ami ? Il n’y a que le désert aride à perte de vue ! Comment entreprendre un tel voyage dans un endroit pareil et sans aucun point de repère ? Avec quelles ressources, quelle monture ? Je ne sais même pas dans quelle direction chercher ! ».
Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.