LE PÈLERIN ET LES SEPT PRINCESSES – LA QUÊTE DES PIERRES DE LUNE (CHP1)

Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune

Chapitre 1 – Souvenirs d’enfance

J’ai grandi dans un village au cœur d’une petite vallée de moyenne montagne, entourée d’une forêt pleine de vie et qui à l’aube s’emplissait du chant mélodieux des oiseaux, et des cris parfois étranges des habitants des bois. Lorsque j’étais enfant, j’aimais me lever tôt le matin pour contempler la brume descendue des sommets des monts environnants et qui recouvrait la vallée d’un voile épais et blanchâtre. J’étais émerveillé lorsqu’elle se dissipait au moment même où le soleil daignait enfin se montrer dans le ciel. La beauté de mon village apparaissait alors au grand jour et se manifestait dans les pierres, les charpentes en bois et les tuiles en ardoises de nos maisons traditionnelles, dans les eaux poissonneuses et claires de la rivière qui serpentait dans la vallée, dans les sapins, les épicéas, les pins et les hêtres parfois centenaires qui dévoilaient subitement leur majesté.
Mon enfance fut à mes yeux un conte de fées et dès que je fus suffisamment grand au regard de mes parents, j’obtins d’eux le droit de m’aventurer seul dans cette forêt que j’appréciais autant pour sa riche faune que pour sa flore variée. Profitant des vacances scolaires, je partais régulièrement à l’aurore en emportant avec moi des provisions et de l’eau dans mon sac à dos, un bâton de marche dans la main, un couteau laguiole dans la poche de mon pantalon et une paire de jumelles autour du cou. Je passais ainsi la journée dans la forêt à la recherche d’une proie, car j’aimais plus que tout surprendre les habitants des bois, pour les contempler sans toutefois les déranger.
Les oiseaux se prêtaient plus volontiers à ce petit jeu et le ciel n’était jamais vide de leur présence. Que ce soit le milan royal planant en altitude, le merle virtuose perché à la cime d’un arbre, le pic vert martelant de son bec le bois dur d’un tronc, le martin pêcheur à l’affût en bord de rivière ou le faisan picorant le long d’un pâturage, il était toujours possible d’observer un volatile pour peu que l’on soit attentif et immobile. Quant aux gros animaux, c’était une tout autre affaire. Je passais beaucoup de temps assis dans les fourrés sans bouger, guettant le moindre bruit ou un mouvement aux alentours. C’était parfois difficile. Néanmoins, mes efforts finissaient souvent par payer et je rentrais chez moi rarement déçu tant le spectacle qui m’avait été offert avait été merveilleux.
J’admirais la noblesse du cerf ou l’élégance de la biche déambulant sur un sentier en lisière de forêt, l’opiniâtreté d’un sanglier écumant une clairière en quête de sa pitance quotidienne, la prudence extrême de l’écureuil roux descendu de son arbre pour ramasser des graines ou se délecter de champignons.
Et puis, il y avait quelques fois, des rencontres fortuites, fugaces et miraculeuses. Comme ce lynx boréal à la fourrure tachetée, aux oreilles ornées de pinceaux noirs et aux favoris courant le long de son gracieux visage, apaisant sa soif au bord d’une marre en plein été, ou encore ce grand tétra, coq imposant au plumage noir de jais, au bec blanc comme la neige, le dessus et l’arrière des yeux cernés d’une peau rouge vif, aperçu sur la cime d’un sapin à la fin de l’hiver.
Voilà les souvenirs qui remontaient à la surface de ma mémoire quand, le jour de mes quarante ans, je reçus un appel téléphonique de ma mère qui me souhaita un joyeux anniversaire avant de s’effondrer en larmes pour m’apprendre le décès de mon père. Ce fut pour moi un véritable électrochoc. Je ne m’étais pas préparé à faire face à la mort d’un de mes parents, malgré les signes avant-coureurs et leur grand âge. Étant un enfant unique, je n’avais pas d’autre choix que de quitter Paris pour rejoindre au plus vite ma mère qui vivait toujours dans ce petit village perdu au beau milieu du massif des Vosges. Le lendemain soir, j’étais auprès d’elle pour la soutenir de mon mieux et organiser les funérailles de mon pauvre père.

Extrait du livre Le pèlerin et les sept princesses, la quête des pierres de lune, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin septembre 2022.