Chapitre 11 – La grotte
La biche se mouvait au milieu des chênes et des châtaigniers centenaires avec simplicité et grâce. Entre ombre et lumière, seul le chant de quelques oiseaux au loin rompait un silence de cathédrale. Le prince suivait sa proie à une distance respectable. Il avançait tant bien que mal, malgré une blessure sous le sein gauche qui le faisait horriblement souffrir. Il ne savait que faire et il n’avait pas d’autre choix que de persévérer dans cette voie. Ils marchèrent ainsi un long moment, presque une éternité pour Yansa, qui s’accrochait au fol espoir de trouver de l’aide au milieu de cette forêt avant le soir. Quand la lumière du jour se fit de plus en plus faible, annonçant la tombée de la nuit, le jeune homme comprit que l’aide qu’il espérait ne viendrait pas. C’est qu’il n’avait toujours pas vu de trace d’activité humaine alors que la biche s’apprêtait à traverser un petit ruisseau. Yansa était épuisé et désespéré. Il s’assit au pied d’un arbre ne pouvant plus continuer. Il regardait la biche de l’autre côté s’éloigner à pas feutrés. Elle se tourna vers lui une dernière fois, immobile, comme si elle lui demandait de la rejoindre. Puis, elle lui tourna le dos et continua sa marche droit devant elle avant de disparaître dans la brume qui tombait pendant que les derniers rayons du soleil disparaissaient. N’ayant plus de force, Yansa ferma les yeux et s’abandonna à un sommeil qu’il savait pourtant être fatal…
Le chuchotement d’une voix douce à ses oreilles l’extirpa des profondeurs de l’inconscience. Après des efforts incommensurables, il finit par ouvrir enfin ses yeux. Il était allongé sur le dos, sur une paillasse végétale dans une grotte éclairée par la lumière d’un feu qui crépitait à proximité, et dont la chaleur réconfortait son corps à demi-nu. Il redressa difficilement sa tête qui était aussi lourde qu’une pierre et vit une vieille femme auprès de lui. Elle était grande et robuste, le teint hâlé, de longs cheveux argentés et de grands yeux de biche. Elle portait une longue tunique et un saroual de lin blanc. « Comment te sens-tu mon garçon ? lui demanda-t-elle.
– Je vais bien, constata Yansa étonné. Que m’est-il arrivé ? continua-t-il.
– Tu étais en piteux état lorsque je t’ai trouvé dans la forêt. Je t’ai ramené ici et je t’ai soigné.
– Où sommes-nous ?
– Dans une grotte au centre de la forêt. Ne crains rien, ici tu es en sécurité. Yansa se redressa et s’assit pour s’adosser contre la paroi de la caverne.
– Pourquoi ai-je le corps recouvert de cette substance verte et visqueuse ?
– Ah, ce sont des onguents à base d’herbes et aux propriétés miraculeuses, ma grande spécialité ! répondit-elle souriante. Tu peux t’en débarrasser maintenant. Profites-en pour passer cette tunique je te prie. Yansa s’exécuta.
– Merci… Comment suis-je arrivé ici ?
– Je te l’ai déjà dit. Je t’ai trouvé gisant au pied d’un arbre.
– Mais je ne me souviens pas m’être déplacé jusqu’ici…
– Comment ça déplacer ! Je t’ai porté à bout de bras mon garçon ! Que crois-tu, que je suis une vieille femme faible et sans force ? affirma-t-elle en pointant Yansa du doigt.
– Non, non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Du bruit à l’entrée de la grotte interrompit la discussion.
– Voyons, ne fais pas la timide. Entre mon amie ! s’exclama la vieille femme dont la colère était retombée aussi vite qu’elle était montée. Une biche pénétra dans la grotte avec dans la gueule, une sorte de panier en osier qu’elle déposa au pied du prince. Mange ces fruits mon garçon ! continua-t-elle.
– Cette biche, je l’ai suivi tout à l’heure ! Et elle m’a parlée !
– Et que t’a-t-elle dit ?
– Suis moi !
– Non, voyons ça c’était moi !
– Comment ça ? Et la biche alors ?
– Je t’ai effectivement envoyé cette biche pour te servir de guide et te mener jusqu’à moi. Mais c’était bel et bien ma voix que tu as entendue.
– Comment un tel prodige est-il possible ?
– N’entends-tu pas des sons lorsque tu rêves en plein sommeil mon garçon ?
– Heu… oui.
– Même si dans ta chambre règne un silence de plomb ? Eh bien, c’est pareil. Disons que j’ai développé des capacités spéciales et très pratiques pour communiquer à travers l’espace et le temps… Et donc c’était bien ma voix que tu as perçue dans ton esprit. ».
Yansa ne comprenait rien aux affabulations de cette vieille dame affable. Il n’avait pas le désir de pousser le débat plus loin. Il remercia la biche qui s’en allait et s’emparât des fruits pour reprendre des forces. Ils étaient succulents et il les engloutit en deux temps trois mouvements !
Extrait du livre Le miroir de l’âme, un conte soufi d’aujourd’hui, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin janvier 2022.