LE MIROIR DE L’ÂME – UN CONTE SOUFI D’AUJOURD’HUI (CHP10)

Le miroir de l'âme, un conte soufi d'aujourd'hui

Chapitre 10 – La chute

Un détachement de trois hommes montés à cheval vint à la rencontre du prince : « Halte-là ! hurla celui qui semblait être leur chef. Le jeune homme s’arrêta aussitôt. Les trois guerriers en armures qui s’approchaient n’étaient guère rassurants.
– Que se passe-t-il ici ? demanda timidement Yansa.
– Qui es-tu ? répondit sèchement le soldat, tandis que les deux autres larrons regardaient avec insistance les habits luxueux du jeune homme.
– Je suis le prince Yansa, dit-il d’une voix inquiète.
– La cerise sur le gâteau ! Tu nous rapporteras une belle rançon mon garçon, emparez-vous de lui ! ».
La vivacité d’esprit du prince lui sauva la vie. Il comprit immédiatement qu’il n’avait pas affaire à des soldats de l’armée royale, mais bien à des mercenaires étrangers qui venaient de traverser la frontière. Sans plus réfléchir, il éperonna sa monture et chevaucha à bride abattue. Les deux sbires se lancèrent sur-le-champ à sa poursuite. Une chasse impitoyable commença alors et malheureusement pour lui, il en était la proie. L’effroi et la peur envahirent Yansa qui se retournait sans cesse pour constater que les deux bandits gagnaient du terrain. Il filait tout droit vers le lieu où l’attendait Makir, mais quand il y parvint enfin, son ami n’était plus là. Pourquoi l’avait-il abandonné ? Il n’avait pas le luxe de trouver une réponse à cette question ! Il encouragea son cheval à courir toujours plus vite allant jusqu’à blesser de ses éperons les flancs de son fidèle destrier. Rien n’y faisait pourtant et les deux cavaliers aguerris se rapprochaient inexorablement de lui. Par instinct, il décida de quitter le grand chemin pour tenter de leur échapper en coupant à travers les bois. Les branches des arbres flagellaient son corps et son visage lui arrachant des cris stridents. Mais sa vie était en jeu. Il n’avait pas d’autre choix que de s’enfoncer toujours plus loin dans cette forêt hostile. Dans ces conditions difficiles, il ne pouvait plus se retourner, mais il sentait tout de même que les deux poursuivants se laissaient distancer. Malgré tout, cette course poursuite sembla durer une éternité.
N’entendant plus le bruit des chevaux derrière lui, Yansa crut enfin échapper à une mort certaine, jusqu’au moment où sans prévenir, son cheval se cabra brusquement le faisant chuter dans un ravin en contrebas ! Étourdi par la violence du choc, le prince perdit connaissance sur le coup. Quelques minutes plus tard, les deux larrons arrivèrent à pied au bord du ravin. Le premier mit la main sur le cheval du prince pendant que le second descendait péniblement le long de la pente abrupte. Après de nombreux efforts, il atteignit le corps sans vie du jeune homme. Il le fouilla méticuleusement et le sourire aux lèvres, il le délesta de sa bourse pleine de pièces d’or qui devait permettre aux deux amis de festoyer dignement. Il la cacha à l’intérieur de son vêtement. Puis, il s’accapara son cafetan et ses bottes en cuir rouge avant de remonter péniblement. Les deux bandits se disputèrent le maigre butin et s’éloignèrent le cœur satisfait de leurs odieux méfaits.
Laissé pour mort par les deux brigands, Yansa finit par émerger des ténèbres de l’inconscience. À demi-nu et le corps endolori, il parvint tout de même à se relever difficilement. Un frisson lui parcourut l’échine lorsqu’il entendit des craquements dans les buissons devant lui. Tétanisé, il n’osa plus bouger. C’est alors qu’une magnifique biche sortit nonchalamment des fourrés en broutant ici et là les premiers bourgeons apparus sur les arbustes en ce début de printemps. Elle ne prêtait guère attention au jeune homme et ne semblait nullement intimidée par sa présence. Après quelques instants, elle se redressa de toute sa hauteur et fixa du regard Yansa qui resta bouche-bée.
Une robe couleur fauve, de longues oreilles redressées, un museau effilé et de grands cils entourant des yeux noirs cerclés d’un liseret doré. Comment une créature aussi fragile pouvait-elle irradier autant de majesté ! Telle était la question que le jeune prince se posait en contemplant une pareille beauté. Perdu dans ses pensées, il entendit clairement quelqu’un murmurer à ses oreilles : « Suis-moi ! ». Il se retourna et scruta les alentours, mais il n’y avait personne. Puis, la reine de la forêt lui tourna le dos et fit quelques pas en direction des bosquets d’où elle provenait. Elle s’arrêta et tourna la tête vers Yansa : « Suis-moi ! ». Une nouvelle fois la voix invisible s’était manifestée et la jolie biche reprit sa marche en avant. Ne sachant que faire devant un tel mystère, le prince se résolut à suivre la reine de la forêt qui s’enfonçait dans les bois.

Extrait du livre Le miroir de l’âme, un conte soufi d’aujourd’hui, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin janvier 2022.