LE MIROIR DE L’ÂME – UN CONTE SOUFI D’AUJOURD’HUI (CHP7)

Le miroir de l'âme, un conte soufi d'aujourd'hui

Chapitre 7 – Une nuit agitée

Il était maintenant tard et la soirée était bien entamée. Je n’avais pas vu le temps passé. La journée se terminait en apothéose avec cet ancien conte que John avait rendu vivant pour moi dans ce café. J’aurais aimé connaître la suite de l’histoire, mais je devais rentrer à l’hôtel pendant qu’il y avait encore quelques personnes dans les rues d’Istanbul. Je n’aimais pas m’aventurer seule dans les ruelles à une heure aussi avancée. John devina certainement mon embarras et proposa de me raccompagner, ce que j’acceptai bien volontiers. Nous étions à peine monté dans le tramway stambouliote, une station se trouvait à la sortie du Grand Bazar, lorsque je demandai à John : « Est-ce que les aventures de Yansa sont encore très longues ? lui faisant comprendre indirectement que je souhaitais vivement savoir la fin du conte.
– Oui, il y a encore beaucoup à dire. Tu sais, dans ce genre d’histoire, chaque détail compte et mérite toute notre attention. Il me répondait subtilement qu’il ne fallait pas brûler les étapes et prendre son temps ; et du temps, j’en avais encore un peu avant de prendre mon vol de retour pour Paris.
– Y-a-t-il un livre dans lequel est consigné ce conte ?
– Certainement, mais seulement dans les grandes lignes, car peu de gens connaissent la version originale et intégrale. Les dernières paroles de John m’avaient quelque peu surprise.
– Que veux-tu dire par là ? osai-je.
– Ça serait dommage d’acheter un livre alors que j’ai recueilli ce conte directement à la source. Si tu veux vraiment entendre cette histoire, je te propose de nous retrouver demain. En début d’après midi au café Pierre Loti ?
– Ah oui, très bonne idée, ça faisait justement partie de ma liste de visites ! ». J’étais enthousiasmée à l’idée de revoir John dans un cadre aussi bucolique que le Café Loti.
Après quelques minutes passées à bavarder de choses et d’autres, nous étions arrivés à mon hôtel. Il me souhaita une bonne nuit et il disparut aussitôt sans faire de bruit.
Je ne me sentais pas très bien le lendemain au lever du soleil. J’avais passé une nuit plutôt agitée, troublée par un drôle de rêve. Devant mon café, je ne cessais de repenser à la vision étrange de cette nuit. Voilà ce dont je me souviens à l’heure où j’écris ces quelques lignes. J’étais dans un endroit sombre, à peine éclairé par quelques rayons d’une lumière diaphane qui passaient au travers d’une minuscule lucarne. La chaleur et l’humidité rendaient l’atmosphère suffocante. J’étais dans un hammam, enfin il me semble… Un objet scintillait légèrement au loin. Je me rapprochais en marchant à tâtons et je découvris un miroir dans lequel j’apercevais une image floue. J’essuyais de la main la buée à la surface de celui-ci et je vis avec stupeur le visage d’un adolescent ! Il avait le teint halé, des cheveux noirs de jais qui tombaient sur ses épaules, des yeux noisettes et des lèvres fines et légèrement rosées. Il me fixait droit dans les yeux l’air impassible. Puis, il me fit un sourire découvrant des dents aussi blanches que l’ivoire. Son visage se mit alors à rayonner d’une lumière dorée jusqu’à complètement m’aveugler. Lorsque je rouvrais les yeux, j’étais assise dans le lit de ma chambre d’hôtel, bien réveillée et éblouie par quelques rayons de soleil qui filtraient à travers les persiennes.
Manifestement, ce rêve, qui est toujours aussi vivace dans ma mémoire aujourd’hui, m’avait affectée. J’expédiais rapidement mon petit déjeuner pour sortir prendre l’air en cette matinée nuageuse. J’avais repéré à mon arrivée un parc pas très loin de l’hôtel. Je décidai donc de m’y rendre pour oublier cette mauvaise nuit. J’adorais flâner dans les jardins et m’assoir quelque part pour regarder les passants, imaginant ce que pouvait être leur vie.
Installée sur un banc public, je compulsais mon guide touristique pour savoir comment me rendre au Café Loti lorsqu’une énorme corneille mantelée qui venait de se poser devant moi attira mon attention. Elle était si jolie. Sa tête, ses ailes et ses pattes noires contrastaient avec le plumage cendré qui recouvrait le reste de son corps. Elle arpentait méticuleusement la pelouse à la recherche de vers et d’insectes. Je la regardais vivre librement quant tout à coup elle redressa la tête et me fixa de ses petits yeux sombres. Puis, elle croassa d’une manière inattendue et je crus reconnaître un mot : Yansa ! Une idée saugrenue me traversa tout de suite l’esprit. Se pouvait-il que ce jeune garçon dans mon rêve soit Yansa ? Après mûres réflexions, je ne trouvais pas cette idée aussi loufoque que cela. Mes péripéties dans le Grand Bazar, ma rencontre avec John et en définitive toute la journée de la veille avait été éprouvante. Il n’était donc pas surprenant que mon inconscient s’en empare. Enfin, c’était ce que je croyais à cette époque…

Extrait du livre Le miroir de l’âme, un conte soufi d’aujourd’hui, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin janvier 2022.