Chapitre 5 – Le vieux port
Le temps passa et la soif de connaissance du prince n’était toujours pas étanchée malgré toutes les merveilles qu’il trouvait à l’extérieur du palais. Il en vint naturellement à délaisser l’université et ses professeurs rébarbatifs au profit des expériences multiples et variées que lui offrait ce nouveau monde. Au milieu de l’été, le jeune garçon décida un jour de s’émanciper des trois règles imposées par son père. Alors que l’aube n’était pas encore née, le prince sortit discrètement du palais royal en habits d’apparat et franchit tour à tour les trois portes de la voie du Sud. Il prétexta avoir obtenu la bénédiction du roi et alla jusqu’à menacer de représailles certains des gardiens récalcitrants quand cela fut nécessaire. Par la même, il faussa compagnie à ses deux gardes du corps, estimant qu’il était suffisamment mature dorénavant pour se débrouiller tout seul.
Le soleil n’était pas encore levé. Le jeune prince chevauchait à bride abattue en direction d’une grande ville portuaire située à une vingtaine de lieues du palais vers l’Ouest. Il arriva à destination un peu avant le crépuscule. Il s’arrêta dans la première auberge qu’il croisa sur son chemin pour y passer la nuit et reposer sa monture. Le lendemain matin, le prince entreprit de visiter le port où il put constater de ses yeux la majesté des galions et autres navires marchands venus des quatre coins du monde. Les quais grouillaient de vie. Certains hommes déchargeaient les précieuses cargaisons des navires, d’autres s’affairaient autour des échoppes qui jouxtaient les quais tandis que les femmes vendaient sur leurs étals toutes sortes de choses utiles aux passants.
Comme à son habitude, le prince apostropha un matelot en plein travail pour lui poser mille et une questions : « Bonjour brave homme ! Puis-je te poser quelques questions ? ». Le marin ne prit même pas le temps de lever la tête et lui répondit sèchement : « Va jouer ailleurs gamin ! ». Cette réponse aussi brutale qu’inattendue bouleversa le jeune garçon. Reprenant ses esprits, il continua son chemin et interpella une boutiquière : « Bonjour bonne dame ! Puis-je te poser quelques questions ?
– Oui mon mignon. Que veux-tu savoir ?
– Explique-moi comment se passe la vie par ici ?
– Bah, elle est bien bonne celle-là ! Achète-moi plutôt quelque chose mon mignon. Je n’ai encore rien vendu ce matin.
– Non merci, j’ai tout ce qu’il me faut. Raconte-moi d’où viennent tous ces bateaux et décris-moi leur cargaison je te prie.
– Écoute-moi bien le nigaud, soit tu m’achètes quelque chose, soit tu dégages ! Je n’ai pas de temps à perdre en palabres… ». De nouveau le prince fut pris au dépourvu par l’animosité foudroyante de la marchande. C’était la première fois qu’il avait à faire à ce genre de comportement. Il ne comprenait pas l’agressivité que suscitaient ses questions. Il reprit donc son chemin l’âme troublée. La foule bigarrée qui arpentait les quais s’agitait toujours plus. Les hommes et les femmes s’invectivaient en usant toutes sortes de mots qu’il ne saisissait pas. Il se sentit tout à coup perdu. C’est à ce moment qu’il ressentit dans sa poitrine une gêne de plus en plus oppressante.
Par son comportement étrange, le prince finit par attirer l’attention sur lui. Une voix rauque l’interpella : « Eh là l’étranger ! Comment puis-je t’aider ? C’était un homme à la mine patibulaire, grand et large d’épaules.
– Je ne me sens pas très bien, répliqua timidement le prince.
– Je vois, suis-moi, répondit l’homme. Il lui prit le bras et l’entraîna dans la taverne la plus proche. ». Ils s’assirent à une table un peu à l’écart et l’homme commanda à la tenancière une cruche de son meilleur vin. Enfin au calme, le prince put reprendre ses esprits. « Ça va mon garçon ? Il hocha de la tête en signe d’acquiescement. Bien ! Je m’appelle Makir et toi ?
– Je me nomme Yansa.
– Dis-moi Yansa, qu’est-ce qu’un jeune homme de bonne famille comme toi fais dans un tel endroit ?
– Mais c’est toi qui m’as amené ici ! rétorqua le prince une fois de plus dérouté.
– Voyons, pas ici dans la taverne ! Que faisais-tu à flâner seul sur les quais ? reprit Makir.
– Eh bien, je voulais voir par moi-même comment les gens vivaient dans une grande ville, dit-il avant d’être interrompu par la serveuse qui apportait un pichet et deux grandes coupes en bois.
– Le meilleur vin de la patronne pour vous messieurs, bonne dégustation ! dit-elle avant de s’en aller aussitôt.
– Ah, le meilleur ami de l’homme est enfin arrivé ! ».
Extrait du livre Le miroir de l’âme, un conte soufi d’aujourd’hui, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin janvier 2022.