Chapitre 1 – La sublime porte
J’avais toujours rêvé de découvrir Istanbul, cité millénaire qui se trouvait à la croisée des chemins, entre un orient que je fantasmais et un occident qui m’avait parfois désenchantée. Dans mon esprit, c’était à la fois Byzance, Constantinople et la Sublime Porte du Sultan. Autant de mots qui évoquaient en moi des parfums épicés et des délices raffinés ainsi que l’envoûtante magie qui se dégageait des contes des mille et une nuits. À cette époque, j’avais du mal à trouver le temps de partir en vacances, accaparée jours et nuits par un travail qui devenait de plus en plus pesant.
Le désistement à la dernière minute d’un des plus gros clients de la société qui m’employait m’avait fourni une occasion inespérée. Le nouveau projet que je devais prendre en charge ne devait débuter que dans une semaine, cela signifiait donc que j’avais quelques jours de répit. J’avais le choix entre une formation ennuyeuse et rébarbative, et prendre une semaine de congés. Mon choix fut vite fait et je décidai de m’envoler vers Istanbul. Malheureusement pour moi, mes amies ne pouvaient pas se permettre de m’accompagner. Elles aussi subissaient la fameuse loi imposée par le sacro-saint plan de charge : « Tant qu’il y a du travail, vous travaillez ! ».
Je suis donc partie précipitamment de Paris avec comme unique compagnon de voyage mon sac à dos. Et en moins de quatre heures de vol, j’étais arrivée à l’aéroport d’Istanbul. Je sortis sans plus attendre pour goûter cette atmosphère que j’avais tant imaginée, mais la nuit venant de tomber, je dus me résoudre à prendre un taxi pour rejoindre au plus vite mon hôtel. J’avais pris le temps de réserver au préalable une chambre dans un hôtel typique en plein centre historique. Je ne fus pas déçue. Celui-ci possédait le charme des vieilles maisons populaires ottomanes en bois peint, dont tout ou partie des étages étaient construits en surplomb des façades. La décoration intérieure m’avait aussi beaucoup plu, me plongeant pour ainsi dire dans une ambiance digne d’un roman d’Agatha Christie. Le service était impeccable et la nourriture excellente. Je me souviens encore des aubergines grillées du matin accompagnées de fromage frais, de pain à la turque et d’huile d’olive vierge. Un vrai régal pour les papilles !
Le lendemain matin, je partais à la conquête des monuments historiques incontournables d’Istanbul. Je commençais par la basilique Sainte-Sophie, maison de la sagesse au rose ocré, gloire de l’empire byzantin et plus grand sanctuaire chrétien pendant presque mille ans. Je fus surprise par son état de conservation, ses coupoles aux dimensions titanesques et par cette architecture typique, mêlant harmonieusement les styles byzantin et ottoman. De l’autre côté de la vaste esplanade, j’allais ensuite visiter la mosquée bleue édifiée en l’honneur du sultan. Pour moi, ce fut quelques pas sous un soleil de plomb à la fin du printemps, mais pour l’histoire, je traversais d’un coup plusieurs siècles, qui étrangement séparaient et unissaient à la fois le christianisme et l’islam. À l’intérieur de la mosquée, qui était quasiment vide en dehors des heures de prières, on pouvait ressentir un sentiment de majesté, de grandeur mêlée à une paix indicible propice au recueillement.
Je continuais ma folle journée et non loin de là, je pénétrais enfin dans le palais de Topkapi, le cœur de l’empire ottoman pendant près de quatre cents ans. Le palais des sultans m’offrit tout ce que j’attendais de mon voyage. Une plongée dans un passé fantasmé. Je voyais revivre dans mon imagination les belles courtisanes cloîtrées dans le harem, gardées par des eunuques venus des quatre coins de l’empire, le sultan et son grand vizir discutant de choses probablement très importantes et les janissaires dans leur costume d’apparat, qui montaient fièrement la garde devant chaque porte du palais. J’avais l’impression que chaque recoin de cet espace hors du temps était susceptible de receler un trésor caché. Cette première journée passée seule à Istanbul fut magique, mais j’avais quand même un regret, celui de ne pas avoir pu partager ces moments merveilleux avec mes amies…
Je poursuivais ainsi mes visites à un rythme soutenu pendant plusieurs jours, en m’appuyant essentiellement sur les recommandations inscrites dans mon guide touristique. Je découvrais la mosquée de Soliman le Magnifique, l’église Saint-Sauveur, les pêcheurs du pont de Galata et sa tour byzantine, le palais de Dolmabahçe au style rococo bien connu ainsi que les rives du Bosphore illuminées par les yalis, ces grandes et riches demeures en bois peint construites par les potentats au bord de l’eau. Je ne vis pas le temps passé tant je fus émerveillée par les splendeurs offertes par cette magnifique cité.
J’avais également triomphé du Grand Bazar, ce gigantesque marché couvert aux trois mille boutiques réparties dans plus de soixante ruelles. Enfin presque, car je m’étais laissée emporter sans réfléchir par le flot tumultueux des passants, enivrée par les couleurs, les bruits et les odeurs, et j’avais fini par me perdre dans ce labyrinthe à l’architecture si extravagante ! Je me souvins alors d’un détail très utile que j’avais lu dans mon guide touristique : les grandes artères reliaient entre elles les portes d’accès principales au marché. Je repris donc mon chemin en faisant confiance à mon intuition pour m’orienter. Après plusieurs tours et détours, j’atteignis enfin mon but.
Extrait du livre Le miroir de l’âme, un conte soufi d’aujourd’hui, J.M. Montsalvat, 2022. À paraître fin janvier 2022.