STELLA MARIS – LA QUÊTE DE LA FLEUR D’OR (CHP6)

Stella Maris, la quête de la fleur d'or

Chapitre 6 – Une misère noire

L’aurore avait chassé l’aube en cette belle matinée d’automne. Le ciel était clair et parcouru de longs filaments rougeâtres, ce qui annonçait une journée ensoleillée. Je venais de monter sur le dos de Garmir quand une voix familière nous interpella : « Quel drôle d’équipage ? persifla Chatoulai d’une voix faussement douce.
– Hum, retourne auprès de ta gamelle ! répliqua aussitôt Garmir.
– Toujours aussi subtil à ce que je vois, renchérit le chat.
– Nous allons à la mine tenter de découvrir ce qui se trame là-bas. Voulez-vous nous accompagner ? lui dis-je pour éviter une dispute qui s’éterniserait.
– Non merci, ce ne sont pas mes affaires.
– Soit, alors gardez un œil sur Solange je vous en prie ! lui demandai-je du fond du cœur.
– Peut-être… si je n’ai rien à faire de plus important, conclut le gros matou d’un air dédaigneux.
– Merci pour votre aide précieuse. Avec vous à ses côtés, elle sera en sécurité ! ». À ces mots, Chatoulai parut troublé l’espace d’un instant. Quant à Garmir, il pesta dans ses moustaches contre le gros chat.
Cette fois-ci, nous étions bel et bien partis en direction de la périphérie de la ville. Le soleil apparaissait à l’horizon quand nous quittâmes le centre-ville. Nous avancions depuis un bon moment à travers un dédale de ruelles qui se ressemblaient lorsqu’enfin nous atteignîmes la sortie de la ville. Nous nous trouvions en surplomb d’un modeste vallon, d’où nous avions une vue imprenable sur un spectacle que rien ne m’avait préparé à contempler. Je me retournai vers Garmir stupéfaite par ce qui se passait sous mes yeux : « Que font tous ces gens-là ? l’interpellai-je.
– Hum, c’est l’endroit où ils vivent, rétorqua le chien sans sourciller.
– Qui pourrait bien vivre ici ? Je ne vois qu’un amoncellement de cabanes délabrées, des toits en tôle et de la boue à perte de vue !
– Hum, tu as parfaitement raison. C’est le bidonville des ouvriers de la mine.
– Un bidonville ? m’exclamai-je.
– Oui, c’est comme ça que les hommes nomment cet endroit. Avant, il y avait ici une très ancienne forêt. Un jour, ils sont arrivés avec leurs engins mécaniques. Ils ont semé la mort, blessé la nature et ravagé l’âme ancestrale de ce lieu. Ils ont abattu des arbres centenaires pour en faire des clapiers à lapins infâmes ! ».
J’étais sidérée par les paroles de Garmir. Elles collaient si bien à ce que je voyais de mes propres yeux. Des enfants en haillons jouaient dans la bouillasse pendant que leurs mères préparaient le petit-déjeuner au feu d’un baril rouillé ! On était loin des belles maisons en pierre et des beaux chalets en bois du centre-ville. C’était quelque chose que je n’avais jamais imaginé jusqu’à ce jour, une telle disparité dans les conditions de vie des membres d’un même clan. Chez nous les lutins de la montagne, la dignité était un bien partagé. Personne n’aurait eu la conscience tranquille en sachant des frères, des cousins ou des voisins dans la misère. Certes, certains lutins avaient de plus belles maisonnettes que d’autres, mais dans le clan, nous étions tous solidaires, comme les différents maillons d’une chaîne unique. Si l’un d’entre eux cédait, c’est toute la chaîne qui en payait le prix ! Du coup, on parvenait toujours à trouver une solution digne à chaque problème qui se présentait, quoi qu’il en coûte. C’était une question d’honneur et de fierté. Où était la noblesse dans le triste spectacle que nous offraient en ce jour les hommes de la vallée ?
Le choc émotionnel passé, je repris petit à petit mes esprits et nous décidâmes de descendre dans le vallon, car l’entrée principale de la mine se trouvait tout à fait à l’opposé. Pour ne pas perdre un temps précieux, nous avions pénétré dans le camp d’ouvriers à l’heure où les hommes s’apprêtaient à partir travailler. Ils partaient gagner durement leur vie, non sans avoir embrassé femme et enfants au passage. Contre toute attente, les enfants paraissaient heureux d’aller à ce qui semblait être une école. La maîtresse les accueillait chaleureusement. Étrangement, vu d’ici, la vie n’était plus aussi misérable que lorsque nous étions tout à l’heure sur les hauteurs qui dominaient le vallon. Au milieu de ces gens, je ressentais une certaine joie et une force de vivre malgré les conditions difficiles qu’ils enduraient. Il y avait dans leur regard, au-delà des apparences, quelque chose qui ressemblait à de la noblesse d’âme…
Heureusement pour nous, il y avait d’autres chiens dans le camp et Garmir passa inaperçu. Nous suivîmes de près la marée humaine qui se rendait à la mine. Marcher dans la boue n’était pas facile. Nous y arrivâmes après un peu plus d’une demi-heure. En me retournant, je pouvais encore voir les fumées du camp s’élever au loin.
Nous étions au pied de la montagne. Tout là-haut dans les alpages sur le versant Sud, il y avait la petite chaumière de mes parents, érigée au milieu des rochers avec pour seuls voisins une petite troupe de marmottes. Que pouvaient-ils bien faire en cet instant ? Eux qui étaient arrivés au stade de la vie où chaque lutin était dégagé de toutes ses responsabilités envers les humains. Je suppose qu’ils devaient se consacrer entièrement à une vie méditative, contemplant les profonds secrets dévoilés par Dame Nature… En tout cas, c’est ce que je ferai à leur place.
La réalité me fit revenir sur Terre. Un homme grand et massif haranguait la foule des travailleurs. C’était le père de Solange qui leur donnait des ordres et chacun s’en allait à son poste. Il y avait les conducteurs d’engins, les chefs d’équipes et les simples manœuvres armés de pelles, pioches et brouettes qui s’engouffraient dans les innombrables boyaux creusés dans le flanc de la montagne. Nous jugeâmes bon de nous rapprocher afin de déterminer quel était le tunnel le plus sûr pour s’enfoncer dans les entrailles de la mine sans se faire remarquer. L’instinct de Garmir était un outil d’une redoutable efficacité. En clin d’œil, il avait repéré un passage abandonné.

Extrait du livre Stella Maris, la quête de la fleur d’or, J.M. Montsalvat, 2021.

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