Chapitre 5 – Ghadir le perfide
Le roi et ses proches qui lui étaient restés fidèles furent emprisonnés. De leur côté, les mercenaires partis à la recherche de la reine abandonnèrent rapidement leur mission, préférant piller les honnêtes gens qui croisaient leur chemin. Le lendemain matin, lorsqu’ils revinrent devant Nafs, ils mentirent à l’imposteur et lui jurèrent avoir tué la reine en la jetant du haut d’un ravin. Nafs les crut sur parole sans sourciller. Il était bien trop occupé pour s’en attrister. Il n’avait qu’une seule idée en tête : consolider son fragile pouvoir le plus vite possible ; et pour cela, il pouvait compter sur les conseils avisés de sa mère et de Ghadir, un membre influent du haut conseil de la guilde des marchands libres de Kafara.
La première action du nouveau roi fut d’ouvrir les portes du trésor royal afin de couvrir d’or les soldats de son armée. Puis, sous l’influence de son conseiller Ghadir, Nafs fit envoyer de la nourriture en grande quantité à Kafara ainsi que de l’or et des bijoux. En retour, il obtint le renfort de nombreux hommes guidés par leur avidité et attirés par les précieux trésors que recelait la cité des Saules. Par l’intermédiaire de ses milliers de mercenaires accourus des pays voisins, le tyran instaura un régime fondé sur trois calamités : la peur, la corruption et l’assassinat ! En quelques jours à peine, la politique systématique de Nafs avait porté ses fruits et tous ses sujets étaient dorénavant soumis.
Les semaines passèrent. La vie des habitants de la cité avait bien changé. Nafs levait des impôts de plus en plus lourds tandis que les richesses du pays étaient, soit envoyées à Kafara, soit dilapidées pour entretenir son armée de mercenaires. L’enseignement et les traditions ancestrales furent délaissés au profit de la production de richesse et du commerce. Ghadir le perfide savait parfaitement manipuler les mauvais penchants de Nafs, et faisait de lui une véritable marionnette. Sophiste accompli, Ghadir connaissait les moindres rouages de la rhétorique, de l’argumentation et toutes sortes de techniques de persuasion.
Un jour, alors qu’il entrait dans la salle du trône où se trouvait Nafs, il lui chuchota à l’oreille une nouvelle idée noire : « Votre majesté, puis-je m’entretenir avec vous ?
– Je t’en prie, parle donc mon bon conseiller.
– La situation est maintenant stabilisée dans la cité.
– En effet, grâce à nos efforts conjoints ! reprit le despote la bouche en cœur.
– Oui, mais avant de nous attaquer à la seconde partie de notre plan, à savoir soumettre les villageois dans les campagnes du royaume, il faudrait peut-être régler un dernier détail.
– Lequel ? Parle je te prie !
– Eh bien, votre père emprisonné dans les geôles du palais est toujours vivant. Et je pense que cela pourrait vous causer du tort à l’avenir…
– Que dis-tu ? Explique-toi !
– Eh bien, tant que le roi Ab est en vie, l’espoir de le revoir remonter sur le trône reste vivant…
– Mon peuple pourrait en effet penser qu’un retour en arrière est possible. Que me suggères-tu alors pour résoudre ce problème épineux ?
– Vous devez tuer tout espoir dans l’œuf ! ».
L’usurpateur comprit immédiatement ce qu’il devait faire, mais sa conscience ne le laissait pas en paix. Il s’agissait tout de même de son père ! Contrairement à la reine qui n’était rien pour lui, Ab avait toujours été un bon père, et malgré les apparences, il l’aimait à sa manière. Ghadir avait d’emblée saisi le drame qui se jouait dans la conscience de son protégé et pour l’alléger il lui proposa de s’en occuper : « Majesté, je lis sur votre visage l’embarras que mes propos ont provoqué. Permettez-moi de m’en charger !
– Que proposes-tu ? rétorqua Nafs.
– Eh bien, je pourrais demander à deux de mes hommes les plus sûrs de transférer votre père dans la prison de Kafara durant la prochaine nuit. Ensuite, nous ferions courir le bruit dans la cité qu’il a été exécuté. De cette manière, nous ferions d’une pierre deux coups. D’un côté, le peuple n’aura plus le fol espoir de voir Ab de retour sur le trône et de l’autre côté, votre conscience sera soulagée…
– Quelle chance d’avoir un si bon conseiller ! Fais ainsi, tu as mon entière confiance, conclut le tyran. ».
Sans plus attendre, Ghadir fit appeler ses deux meilleurs hommes de main et leur expliqua son plan machiavélique. La nuit même, ils allèrent chercher le roi Ab qui croupissait dans son cachot et quittèrent la cité des Saules dans le plus grand secret.
Extrait du livre Prince Nafis, des rubis couleur du sang, J.M. Montsalvat, 2021.
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