Chapitre 4 – Nafs le magnifique
Nafs et une centaine d’hommes armés jusqu’aux dents traversèrent la frontière de nuit et pénétrèrent dans le royaume sans faire de bruit. Guidée par un rôdeur connaissant parfaitement le terrain, l’armée des ombres avança rapidement et sûrement, évitant les villages, se faufilant entre les postes de garde. Vu du ciel, on aurait dit qu’une épaisse fumée noire était sortie des entrailles de Kafara et serpentait sous le clair de lune en direction du mont Salvat. À l’aube, les hommes revêtus de cuirasses de fer étaient arrivés aux portes de la cité de Saules encore ivre de ces trois jours et trois nuits de fêtes plus fastueuses les unes que les autres.
Les rues étaient désertes et tout le monde dormait paisiblement. Profitant de la torpeur qui s’était installée dans la cité, Nafs et ses acolytes firent ouvrir les portes de la ville. Les gardes ne se doutèrent de rien et obéirent aux injonctions du fils du roi sans tergiverser. Nafs donna alors l’ordre d’attaquer. Excités par les promesses d’or et de pierres précieuses, les mercenaires s’engouffrèrent dans la rue principale menant au palais royal. Ils balayèrent sans efforts la faible résistance qui leur était opposée, d’autant plus que les meilleurs soldats de la garde royale étaient à cette époque mobilisés à l’autre bout du royaume… À l’aurore, Nafs et l’armée des ombres avait investi la salle du trône, où le roi Ab y attendait son fils seul. Ce dernier se présenta devant son père à la fois honteux et déterminé à aller jusqu’au bout de ses actes : « Père, je suis venu prendre ce qui m’appartient !
– Mon fils, il n’est pas trop tard. Renonce à ce funeste plan.
– Non père, cette nuit j’ai franchi le Stix et je ne peux désormais plus faire marche arrière. Tu dois abdiquer sur le champ !
– Te céder le trône… mais en es-tu digne pour autant ?
– Tu es devenu vieux et je suis jeune, plein de vie ! Je suis ton premier né, ta place me revient de droit !
– Eh bien, je savais que ce moment arriverait un jour, mais je n’ai pas voulu regarder la vérité en face… Je pensais que tu pourrais t’assagir avec le temps, mais j’ai été faible et trop naïf.
– Ce sont des divagations d’un vieux fou ! rétorqua Nafs. Abandonne la couronne et je te laisserai la vie sauve. Tu pourras t’exiler avec Oum et tes gens hors de mon royaume, où bon te semble.
– J’ai failli à ma mission, j’ai laissé entrer le serpent dans ma maison ! marmonna Ab dans sa barbe.
– Que dis-tu là ? lui demanda Nafs.
– Rien d’important mon fils… Le sang n’a que trop couler ! C’est avec tristesse que j’accepte tes conditions. Je te cède ma place, mais je te promets que tu le regretteras amèrement, répondit le roi Ab.
– Balivernes ! conclut le prince déchu. ».
C’est ainsi qu’Ab le Grand fut destitué de cette lourde charge qu’il portait sur ses épaules depuis tant d’années. Il déposa la couronne sur le sol et les hommes de main de Nafs le ligotèrent comme un simple brigand. Le fils ingrat la ramassa. Puis, il fit amener par la force les gardes royaux désarmés ainsi que tous les nobles dans la salle du trône. Seule Oum semblait introuvable malgré les efforts des sbires du nouveau tyran. Nafs était si impatient qu’il n’attendit pas qu’on retrouve la reine. Devant toute l’assemblée, sous le regard de son père fait prisonnier et de sa mère atterrée, l’usurpateur s’assit sur le trône et s’autoproclama roi de la cité des Saules, sous le nom évocateur de Nafs le magnifique ! Enfin, ses hommes contraignirent tout le monde à s’agenouiller pour reconnaître la légitimité de leur nouveau roi.
Pendant ce temps-là, Oum et sa fidèle servante avaient pris la fuite en empruntant un tunnel secret permettant de quitter la cité sans être vu de quiconque. Le roi Ab avait été alerté à l’instant même où Nafs et son armée s’étaient introduits dans la ville. Ayant percé les intentions obscures de son fils depuis longtemps et comprenant le sort qui les attendait, Ab décida de mettre son épouse et son futur enfant à l’abri. Il fit préparer des affaires de voyages et demanda à Oum de partir dans le Sud du royaume pour se réfugier dans un petit village de pêcheurs. Il ordonna à une servante d’accompagner Oum dans le tunnel secret jusqu’à l’extérieur de la ville, où un fidèle du roi attendait la reine avec un cheval frais. Ab embrassa sa reine tendrement et lui promit qu’il la rejoindrait dès que possible. C’est ainsi qu’il gagna ensuite la salle du trône afin de retenir Nafs le temps nécessaire pour que la reine Oum puisse échapper à ses hommes de main.
Extrait du livre Prince Nafis, des rubis couleur du sang, J.M. Montsalvat, 2021.
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