Sonnet n°146, William Shakespeare (1564-1616), édition de 1609, traduction de Victor Hugo (1802-1885).
Pauvre âme, centre de ma terre pécheresse, jouet des puissances rebelles qui t’enveloppent, pourquoi pâtis-tu intérieurement et te laisses-tu dépérir, en peignant tes murs extérieurs de si coûteuses couleurs ?
Pourquoi, ayant un loyer si court, fais-tu de si grandes dépenses pour ta demeure éphémère ? Est-ce pour que les vers, héritiers de ce superflu, mangent à tes frais ? La fin de ton corps est-elle la tienne ?
Âme, vis donc aux dépens de ton esclave, et laisse-le languir pour augmenter tes trésors. Achète la durée divine en vendant des heures de poussière. Nourris-toi au dedans, et ne t’enrichis plus au dehors.
Ainsi tu te nourriras de la mort qui se nourrit des hommes ; et, la mort une fois morte, tu n’auras plus rien de mortel.
Poor soul, the centre of my sinful earth,
[Feeding] these rebel pow’rs that thee array,
Why dost thou pine within and suffer dearth,
Painting thy outward walls so costly gay ?
Why so large cost, having so short a lease,
Dost thou upon thy fading mansion spend ?
Shall worms, inheritors of this excess,
Eat up thy charge ? Is this thy body’s end ?
Then, soul, live thou upon thy servants’ loss,
And let that pine to aggravate thy store;
Buy terms divine in selling hours of dross;
Within be fed, without be rich no more :
So shalt thou feed on death, that feeds on men,
And death once dead, there’s no more dying then.