Chapitre 2 – Un avertissement bienvenu
Sentir la chaleur du soleil sur ma peau m’avait sorti de la torpeur. La forêt baignait maintenant dans la douce lumière du jour. Ce déplaisant rêve éveillé que j’avais vécu me paraissait bizarrement très loin et les quelques bribes de souvenirs qu’il m’en restait, disparaissaient peu à peu de ma mémoire. Il était temps pour moi de rentrer à la maison, mais où étais-je ? Et surtout comment étais-je arrivée dans cet endroit ? Je me souvenais seulement que j’étais sur le sentier qui bordait la forêt. D’habitude, je ne m’en éloignais jamais lors de ma promenade quotidienne, ayant trop peur de me perdre dans cette immense forêt. D’autant plus que le sens de l’orientation m’avait toujours fait défaut. Je ne connaissais pas la clairière où je me trouvais, et encore moins le chemin qui pourrait me ramener chez moi. Ma mère avait raison. Elle me disait souvent que je n’avais pas suffisamment les pieds sur terre, et que d’être constamment dans la lune me jouerait un jour ou l’autre un vilain tour. Eh bien, c’était fait ! J’étais perdue au milieu d’une clairière ensoleillée, constellée de milliers de fleurs sauvages et qui ressemblait à si méprendre à un petit bout de paradis. A l’instinct, je décidai d’emprunter un petit sentier à l’ombre des pins.
Je marchais déjà depuis une bonne demi-heure sans reconnaître le moindre repère, ni voir le moindre indice qui aurait pu m’indiquer la bonne direction. J’entendis alors le bruit d’une chute d’eau. Je fis le choix d’aller à la rencontre de cette source pour me rafraîchir et pour réfléchir posément à ma situation. Je découvris alors un endroit magnifique, une belle cascade au milieu des arbres et à son pied une petite étendue d’eau limpide, et tout autour le gazouillement des oiseaux. Dans ce décor paradisiaque, un poisson sortit sa tête hors de l’eau et m’apostropha : « Tu n’es pas dans la bonne direction Rime ! Prends le sentier qui va vers l’est et dépêche-toi, le temps compte ! ». Un poisson venait de m’interpeller par mon prénom ! Comment un esprit sain pouvait-il ne pas perdre la raison face au bon conseil d’un poisson ? Brusquement, je me rappelai cette improbable rencontre de ce matin. Un cerf et maintenant un poisson. Qu’est-ce que cela pouvait-il bien signifier ?
Mon cerveau était en ébullition. Des questions, des hypothèses, des débuts de réponses puis encore des questions, de nouvelles théories puis leurs réfutations. Mille et une pensées m’envahissaient au point d’en perdre la tête. Comment apaiser ma raison face à tant d’incompréhension ?
Le poisson mis fin à mon agonie : « Es-tu sourde ou idiote Rime ? ». Piquée au vif, je rétorquai sans réfléchir sur un ton cinglant : « Qu’ai-je à faire des conseils d’un simple poisson ! ». Je me rendis bien compte du caractère inapproprié de ma réaction à une telle situation, mais je me contentai de rester drapée dans ce que je croyais être ma dignité. Le poisson ne s’en offusqua point et dit sur un ton grave : « Ton voyage a commencé Rime. Tu dois te rendre au pied du vieux chêne sans perdre de temps. Les chiens ont été lâchés et ils sont déjà sur ta piste. Rentrer à la maison n’est pour toi plus une option. Malheur, s’ils te trouvent avant la fin du chemin ! Écoute-moi attentivement, méfie-toi des apparences, la forêt est peuplée d’êtres dangereux. Suis le sentier derrière ce gros rocher et va vers l’est. ». Le discours du poisson avait réveillé ma plus grande peur lorsque je partais seule en forêt : être poursuivie par une meute de chiens de chasse animés d’une fureur bestiale qui défie toute raison. Encore une fois le poisson vint m’arracher à mes noires pensées : « Une dernière chose Rime, sache que c’est dans la simplicité que réside ta dignité ! Ne l’oublie jamais. Maintenant, file comme le vent. ». Poussée par les horribles aboiements qui semblaient se rapprocher, j’empruntais fébrilement le sentier qui se trouvait derrière le rocher.
Extrait du livre Rime Fénix, la couleur bleue du venin, J.M. Montsalvat, 2020.