LES TROIS ROYAUMES

Puits abandonné

Le conte populaire des « Trois Royaumes de Cuivre, d’Argent et d’Or » appartient au folklore slave oriental et russe en particulier. Néanmoins, les thèmes abordés dans ce conte se retrouvent aussi dans d’autres cultures et il existe de très nombreuses variantes de cette histoire à travers le temps et l’espace.

Une de ces variantes raconte l’histoire de trois frères envoyés par leurs vieux parents à la recherche d’une fiancée. Dans leur quête, ils sont confrontés, chacun à leur tour, à un dragon à trois têtes qui leur promet la réalisation de leur souhait s’ils sont capables de retourner une grosse pierre. Seul le plus jeune des trois frères, Ivachko, réussit l’épreuve et découvre que la pierre dissimule un trou qui s’enfonce sous la terre. Ivachko descend dans le trou en s’agrippant aux aspérités de la paroi et aboutit dans un autre monde. Il décide alors de marcher droit devant lui et arrive au « Royaume de Cuivre », où il rencontre une belle et jeune fille. Il lui propose de l’épouser, mais elle décline son offre et lui donne un anneau d’argent avant de lui demander de poursuivre son chemin jusqu’au « Royaume d’Argent », où l’attend une jeune fille encore plus belle. Ivachko poursuit sa route et rencontre la nouvelle jeune fille qui décline également son offre, lui remet un anneau d’or et lui indique qu’une fille encore plus belle l’attend dans le « Royaume d’Or ». Ivachko rejoint la troisième jeune fille qui est effectivement beaucoup plus belle que les deux filles précédentes. Cette dernière accepte d’épouser Ivachko et lui offre une pelote d’or. Ensemble, ils rebroussent chemin et emmènent avec eux les deux autres jeunes filles. Arrivés au pied du trou, Ivachko demande de l’aide à ses deux frères qui remontent les trois jeunes filles. Voyant leur beauté, ils décident de laisser Ivachko au fond du trou.

Triste, Ivachko reprend son chemin et rencontre un vieil homme barbu qui lui conseille de se rendre dans une « isba » (chalet traditionnel russe), où il trouve une idole qu’il implore. L’idole lui révèle qu’une « baba yaga » (sorte de sorcière du folklore slave) vivant au-delà de trente lacs dans une maisonnette sur pattes de poule pourra l’aider, car elle possède un aigle qui lui fera regagner son monde. La « baba yaga » accepte d’aider Ivachko. Elle lui confie l’aigle et le met en garde. Ivachko devra toujours garder avec lui suffisamment de viande pour nourrir l’oiseau pendant son vol de retour. Mais l’aigle dévore toute la viande avant la fin du voyage et arrache un morceau de la cuisse d’Ivachko. L’aigle finit toutefois par ramener Ivachko dans son monde et replace miraculeusement le morceau de sa cuisse. Ivachko est sain et sauf. Il rentre chez lui et épouse la jeune fille du « Royaume d’Or », tandis que ses frères épousent les jeunes filles des « Royaumes d’Argent et de Cuivre ».

Cette histoire contient manifestement de nombreux symboles et plusieurs niveaux de lecture. Je me contenterais donc d’aborder qu’un aspect du conte et je n’envisagerais que quelques pistes de réflexions pour simplement montrer la richesse interprétative qu’il recèle. La première chose qui m’a interpellé est l’existence de trois mondes souterrains distincts et hiérarchisés. Dans le conte, cette idée est symbolisée par les trois royaumes qui se distinguent par le métal noble dont ils sont faits (cuivre, argent ou or) et qui sont hiérarchisés selon leur valeur intrinsèque (l’or est plus précieux que l’argent qui est plus précieux que le cuivre). Ceci étant dit, une question se pose : à quoi ce symbolisme peut-il bien faire référence ? Pour ma part, je pense que les trois royaumes représentent la tripartition du Cosmos telle qu’elle est affirmée par les anciennes traditions spirituelles de l’humanité, à savoir le Corps (cuivre), l’Âme (argent) et l’Esprit (or) universels. L’homme étant un microcosme, on retrouve naturellement cette décomposition dans le corps, l’âme et l’esprit individuels de chaque être humain. Ce passage de l’universel à l’individuel, semble être symbolisé dans le conte par les trois jeunes filles associées aux trois royaumes et qui sont effectivement de plus en plus belles à mesure qu’Ivachko s’enfonce dans les profondeurs de la Terre. De manière symétrique, les trois frères paraissent représenter les contreparties masculines des trois jeunes filles, et on voit ici émerger de nouveau le thème bien connu de la complémentarité des principes masculin et féminin en chaque être humain. Il y aurait tellement à dire sur les nombreux enseignements contenus dans le conte des « Trois Royaumes de Cuivre, d’Argent et d’Or »… et chacun pourra se faire son propre avis à condition de bien vouloir pénétrer dans son intériorité, à l’image d’Ivachko qui en soulevant la pierre s’est engouffré dans les profondeurs de la Terre pour y rencontrer de mystérieux personnages et découvrir de fabuleux trésors.

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